Au pays des Grands Crus, une histoire familiale

Depuis 1870, huit générations se sont succédé au Château La Pointe Bouquey. Cette exploitation familiale d’une quinzaine d’hectares, située notamment à Saint-Pey-D’Armens, est détenue par David Bentenat. Je suis allée à sa rencontre pour qu’il me dévoile les secrets de sa propriété.

« Nous avons une partie de nos vignes d’appellation Saint-Emilion et Saint Emilion Grands Crus sur Saint-Pey-D’Armens, une autre sur Saint-Hippolyte et une autre sur Saint-Laurent-Des-Combes. Nous avons également un hectare sur Sainte-Terre. Nous faisons de l’agriculture raisonnée. C’est-à-dire, nous raisonnons tout au niveau physiologique de la vigne. Nous appliquons les mêmes principes que la biodynamie. Ils créent de nouvelles choses chaque année mais mes grands-parents faisaient ça depuis bien longtemps. » Le principe est d’attendre que la lune soit en phase avec l’action que les viticulteurs veulent faire dans les vignes. « Nous taillons lorsque la lune est bonne. Pour le désherbage, c’est pareil ! Nous ne le faisons que deux fois par an maximum. Nous n’utilisons que des engrais organiques – des produits de contact. Je vais faire un systémique à la floraison qui n’aura aucune rémanence car 30 jours après il n’existe plus dans la sève. On ne rencontre donc aucune phytotoxicité. Autre point important, nous ne traitons pas quand il pleut ou qu’il y a du vent. Nous ne faisons pas d’automatisation comme dans de nombreux châteaux. Certains ont traité toutes les semaines pendant quatre mois non stop et ils n’ont pas eu de meilleures récoltes que moi« .

Un raisonnement qui ne s’arrête pas dans les vignes, il passe également dans le chai avec la gestion de l’eau notamment pendant les vendanges. « Nous utilisons l’eau de nos puits. Nous limitons le gaspillage. L’eau est traitée pour être potable, limpide et sans bactérie. » En route vers la biodynamie ? La réponse est sans appel : « Jamais de la vie ! Je suis contre ce marketing, contre cet agri bashing qu’ont fait les agriculteurs bio et biodynamistes. Je suis contre les conventionnels. On est dans un monde libre où chacun à le droit de faire ce qu’il veut. Les gens, au final, sont plus perdus avec toutes ces normes qu’on a imposées sur l’impact écologique et environnemental. Je trouve qu’on ment au consommateur. Il est complètement perdu. Il ne sait pas si le bio est vraiment bio. Pour moi, le bio devrait être comme mon potager : deux fois de la bouillie bordelaise dans l’année et si ça pousse ça pousse et si ça pousse pas tant pis ! »

Il faut accepter de perdre entre 30 et 50% de la récolte en bio

« Le bio c’est ça : une perte de récolte. Maintenant, ils veulent faire de la rentabilité sur du bio donc forcément ils font appel à des matières chimiques et ils polluent. Il ne faut pas croire, en grattant le sol trente fois par an, ils consomment du GNR*. Je ne sais pas trop où est la vérité. Je fais mon vin dans mon coin, j’essaie de le faire le plus qualitatif possible vis à vis de mon terroir. J’ai aussi la chance d’être en appellation Saint-Emilion. Je fais en sorte d’avoir un impact écologique le plus faible possible. » La région Bordelaise est très souvent montrée du doigt pour son utilisation des pesticides. « J’ai traité neuf fois l’année dernière contrairement à certains châteaux en bio qui étaient proches des vingt fois. » L’année 2021 n’a pas été l’année la plus paisible pour un grand nombre de viticulteurs entre la météo et les maladies. « Le mois de juin a été pluvieux donc nous avons eu des maladies. Nous avons aussi été touché par le gel. J’ai six hectares qui ont été fortement touché et huit qui ont donné ce qu’il fallait. » Le gel est devenu la peur numéro 1 des viticulteurs. Les maladies peuvent être combattues avec des traitements alors que le gel est indépendant de leur volonté.

Le gel arrive toujours au mauvais moment pour notre récolte !

« Nous avons fait notre maximum pour lutter contre le gel. On a fait brûler des petits pots et des bottes de foin. Nos voisins ont des éoliennes et nous avons été très soudés du Château Pipeau à Saint-Pey-D’Armens. Contrairement à l’autre côté où j’étais tout seul. Qu’est-ce qui fait la différence ? La mentalité des propriétaires. En environ dix ans, je suis le seul jeune qui a repris une exploitation ! Beaucoup des nouveaux acheteurs sont des multinationales ou des étrangers. Deux fois, j’ai un chinois qui est arrivé avec son carnet de chèques pour me racheter. Ils n’ont aucun respect ! » Les gros industriels ne cherchent qu’à faire du rendement. Ils ne respectent pas les normes. De la quantité avant de faire de la qualité ! Cette idée concerne autant les fermes de céréales, de viandes que les vignes.

Une propriété familiale que David a repris en 2015. Il ne se prédestinait pas dans ce milieu mais en ingénierie. « Je faisais des études pour être ingénieur électrotechnique quand je me suis blessé au doigt sur un chantier un mois avant la soutenance de stage de mon BTS pour passer en école d’ingénieur. Je n’ai pas pu finir la machine que je devais présenter je n’ai donc pas eu mon diplôme. J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire avec mon bac électrotechnique et je me suis dirigé vers un BTS viticulture-oenologie. J’ai trouvé ça sympa. J’ai obtenu mon diplôme en 2015 et je me suis dit pourquoi pas reprendre le domaine familial. J’ai fait les vendanges de cette année-là et je suis parti un an à Londres pour apprendre l’anglais. Quand je suis rentré mi-2016, je ne suis jamais reparti. » Une production de quatre vins rouges avec trois cépages : 80 % de merlot, 10 % de Cabernet Franc et 10 % de Cabernet Sauvignon.

« Je vends notre Bordeaux en vrac. Il est fait comme le Saint-Emilion. Nous avons également le Saint-Emilion qui est vendu aux négoces. C’est un bon générique. Tout le monde l’aime. Il est plaisant, facile à boire. Il est possible de le conserver ou de le boire rapidement. Il a un bon rapport qualité/prix. Ensuite on a le Grand Cru qui est élevé avec des staves en cuve puis mis en barrique. Et enfin mon vin : 100% en barrique de 1-2-3 vins. Je n’utilise plus de barriques neuves. Ce n’est plus ce qu’attend le consommateur parce que c’est trop tannique, trop fort, trop acide et charpenté. Ils veulent des vins à boire dans les cinq ans. On constate une volonté des consommateurs d’avoir des vins frais, élégants, fruités. Ils veulent un vin plein de fruits. »

Ici, on essaie de faire quelque chose de bon !

L’organisation du Château a connu quelques changements après l’arrivée de David. « Nous avons mis en place un suivi parcellaire. C’est-à-dire que l’on a réfléchi pendant les vendanges à ramasser certaines parcelles ensemble dues par exemple à leur sol (argile ou sable…). On désherbait quand il fallait, bien retravailler les sols. En qualité, je n’avais pas grand chose à faire. Je suis arrivé avec tout servi sur un plateau. On a vu qu’avec cette organisation, avec des raisins vendangés à une maturité optimale, sur chaque cuve, on sortait presque 800 hectos de très bon vin. La première cuve est toujours un peu moins réussie parce que c’est le début des vendanges mais avec les sept autres, il est toujours très difficile de choisir ce qui va être en Saint-Emilion et ce qui va être en Grand Cru« .

Depuis quelques semaines, vous pouvez retrouver le Château La Pointe Bouquey sur Facebook et Instagram. Votre cave sonne creux ou avez-vous envie de découvrir le vin de David ? N’hésitez pas à le contacter ! 

GNR : Le gazole non routier est un carburant utilisé en France pour les engins mobiles non routiers, notamment dans les secteurs agricoles, forestiers, fluviaux ou des travaux publics.

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