Les débuts du porte-greffe

A l’heure actuelle, une grande majorité des vignes françaises vient d’un assemblage à la cire sur un porte-greffe. Pour comprendre pourquoi, nous allons faire un bond en arrière jusqu’en 1863. Qu’a t’il bien pu se passer à cette date ? Je vais vous l’expliquer.

Jusqu’à cette date, 1863, le vin européen se porte bien. A cette époque, les viticulteurs cultivaient de la vigne européenne Vitis Vinifera. Soudain, les premiers plants malades sont découverts dans le Gard. Il faut attendre 1868, pour que des scientifiques de la société d’agriculture de l’Hérault parviennent à identifier l’origine de l’attaque. Le responsable ? Un puceron ravageur originaire d’Amérique du Nord nommé Phylloxera. En quelques semaines, il s’attaque aux racines d’une vigne, l’affaiblit et la tue. Au printemps, plusieurs générations se multiplient et le cycle se termine en été par des formes ailées qui, portées par le vent, vont coloniser et envahir de nouvelles vignes. L’hiver, la ponte est protégée sous l’écorce du cep. Il faut noter sa résistance au froid, survivant à l’hiver de 1879 où la température est tombée à -28 degrés. C’est par plusieurs millions que le puceron se reproduit en quelques mois.

La sonnette d’alarme est tirée par les scientifiques venus pour identifier le mal. Le couperet tombe : faute de remède, la Provence n’aura plus de vignes dans les dix années à venir. Considérés avec dédain, ils ne sont pas pris au sérieux par des scientifiques parisiens qui jugent peu probable que ces « petites bêtes » , que l’on ne peut même pas observer à l’œil nu, puissent engendrer de tels dégâts. Selon eux, c’est surtout la sécheresse qui aurait rendu les vignes vulnérables. Malgré le fait que toute la France fut touchée en trente ans, toutes les régions viticoles vivent dans le déni. Dans le Bordelais, on est persuadé que le climat pluvieux préservera les vignes, en Champagne, c’est la craie, dans le Mâconnais, ce sont les collines escarpées qui lui barraient le passage. Les professionnels ne tirent aucun parti du délai dont ils bénéficient pour se préparer.

Introduit accidentellement en France (dans des pieds de vignes américains), le phylloxéra s’est développé sur les vignes françaises, aux racines particulièrement sensibles, et a provoqué une destruction massive puisqu’il a fallu arracher plus de deux millions et demi d’hectares. De nombreuses méthodes sont cherchées pour en venir à bout. Des charlatans avec des potions magiques à base de sirops d’urine de cheval et les crapauds enterrés vivants supposés attirer le venin de la vigne en passant par la religion dont on ne sait plus à quel saint il faut s’adresser. En Auvergne, la statue de Saint Verny est jetée dans l’Allier, on le remplace par Saint Vincent.

Puis deux solutions plus pragmatiques sont proposées : l’arrachage systématique des pieds touchés pour éviter la propagation. Pour cela, elle demande une attention de tous les jours. La deuxième, plus coûteuse et dangereuse : le traitement au sulfure de carbone. Injecté sur les racines, il asphyxie les pucerons. Seulement, il n’est que partiellement efficace. Puis, les viticulteurs ont pratiqué l’immersion des vignes pendant l’hiver, de façon à noyer le puceron. Si les vignobles de la plaine du Languedoc étaient facilement inondables, les meilleures vignes, en coteaux, ne pouvaient être protégées. Enfin, ils ont eu recours à l’utilisation de variétés résistantes, des hybrides obtenus par croisements avec des vignes américaines, mais dont la qualité était insuffisante. Leurs racines offrent une bonne cicatrisation aux piqûres de l’insecte. On les utilise d’abord en direct. Mais on leur reproche leur goût foxé*. Certains cépages comme le Noah sont même accusés de rendre fous. C’est donc la technique du greffage qui l’emporte : on utilisera un porte-greffe américain, qui donnera des racines résistantes, et un greffon français qui conservera les qualités organoleptiques des cépages autochtones. Il était temps de trouver une solution car en 1879 la production globale du vignoble français chute à 25 millions d’hectolitres alors que la production moyenne avant l’invasion du phylloxéra oscillait selon les années entre 40 et 70 millions d’hectolitres.

Après la destruction massive du vignoble, il y eut une pénurie de vins. Cela encouragea la fraude et la fabrication de vins frelatés. Par exemple, on faisait deux vins avec la même récolte : sur le marc, on rajoutait de l’eau et du sucre et l’on faisait fermenter. C’est ce que l’on appelait la piquette. Après 1900, la physionomie du vignoble est bouleversée. En 1875, il restait environ 2,5 millions d’hectares plantés en vigne en France. En 1903, il n’y en avait plus que 1,70 million. Dans le Midi de la France, le vignoble a déserté les coteaux pour s’installer dans les plaines. La vigne disparaît définitivement dans le bassin parisien et dans certaines régions du Centre et du Sud-Ouest.

Ce puceron a causé des dommages économiques plus qu’important dans le monde viticole. La ruine de nombreux petits exploitants contraints de vendre leurs terres phylloxérées à bas prix incapables de financer l’achat des nouveaux plants, abandon des sols consacrés à la vigne pour des cultures fourragères, exil pour certains vers l’Algérie, l’Argentine, le Chili ou vers la ville industrielle demandeuse de bras, désertification de villages entiers… Cette crise a permis l’amélioration de points primordiaux comme un meilleur choix des cépages (ugni blanc, cabernet-sauvignon, merlot…), la replantation en ligne avec des écarts plus grands entre les rangs pour faciliter les traitements tractés, la réduction importante du nombre de pieds à l’hectare, la généralisation du palissage sur fil de fer, le rendement du vignoble nettement amélioré en particulier dans le Midi (150 hl/ha) soit plus de 50% des rendements d’avant la crise ce qui entraînera d’ailleurs quelques années plus tard une surproduction.

Foxé : type d’odeur provenant des vins issus de cépages hybrides d’origine américaine importés pour lutter contre le phylloxéra. Caractérisé par une odeur rappelant le renard, la punaise écrasée, la venaison. Parfois appréciée, cette odeur est un défaut dès qu’elle est flagrante.

Si le vin manque, il manque tout

Proverbe Latin

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